7/10Ghost in the Shell : Man Machine Interface

/ Critique - écrit par Jade, le 01/03/2006
Notre verdict : 7/10 - le fantome de Ghost in the Shell (Fiche technique)

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Masamune Shirow n'a pas vraiment pu profiter du magnifique Big Bang littéraire qui a touché le monde du manga ces cinq dernières années. Il n'y a pas à dire, il fait désormais partie de l'ancienne génération, de la culture dessinée underground, en France en tout cas. La preuve avec ce Man Machine Interface, dont seuls les plus informés auront eu vent de la sortie. Il s'agit pourtant de la suite du mythique Ghost in the Shell, sur lequel un réalisateur aussi influent de Mamoru Oshii aura fait son beurre pendant des années. Seulement, le statut de mythe - que personne ne pourra sérieusement discuter - du manga à travers le monde a dû jouer sur la connaissance effective de l'oeuvre. Car si beaucoup ont vu et revu le dessin animé, très peu peuvent vous dire autre chose du manga Ghost in the Shell que 'c'est mythique', ou encore, peut-être plus hypocrite : 'c'est trop génial', et termes assortis.

Man Machine Interface
Man Machine Interface
Néanmoins, nous ne sommes pas ici pour dénoncer cette anomalie sociale (même s'il en est de notre plus profond devoir), mais plutôt pour vous parler de Ghost in the Shell : Man Machine Interface, dernière oeuvre en date et sur papier de M. Shirow - n'oublions pas son Appleseed dont il est officiellement co-réalisateur. Voici donc la suite des aventures de Motoko Kusanagi, ou plutôt non. Enfin, tout ça est très compliqué.
Shirow n'est pas un mangaka comme les autres, tout le monde le sait. Avec Man Machine Interface, il innove complètement, que ce soit au niveau du style comme au niveau scénarique. Ainsi nous retrouvons-nous face à une Motoko Kusanagi qui n'est plus Motoko Kusanagi (souvenez-vous de la fin de Ghost in the Shell les amis), mais à vrai dire cela n'importe que très peu. Alors qu'Innocence porte très bien le sous-titre de Ghost in the Shell 2, nous n'avons plus trop à voir avec ce que Shirow nous pondait il y douze ans de cela.

Il évolue, c'est bien, vous direz-vous. Seulement, en deux volumes, l'auteur perd peu à peu le contrôle de son oeuvre pour nous laisser un peu perplexe, le manga entre les mains. Beaucoup de choses font que l'on n'est pas très satisfait de cette suite, et nous en parlerons en temps et en heure. Voyons d'abord comment Masamune Shirow a décidé de mettre en place la suite de son plus gros succès.
Nul besoin de parler plus que ça du scénario, que vous découvrirez et savourerez vous même page après page, et qui n'est pas plus intéressant que cela par ailleurs. Mais voyons par exemple le dessin. Shirow semble s'amuser comme un petit fou avec son logiciel graphique (qui, il faut le dire, cartonne grave), faisant dans la surenchère virtuelle et explosant littéralement n'importe quel compteur de textures ajoutées ou de d'effets de lumière dans un manga ou même sur un support papier quelconque. Révolutionnaire, Man Machine Interface l'est clairement à ce niveau, et la maîtrise par Shirow de son outil graphique ne laisse aucun doute. Nous avons affaire à une oeuvre graphique très aboutie, tellement aboutie que vous en prendrez certainement aussi soin que d'un artbook, ce qui ne serait pas de trop vu le prix dirons les mauvaises langues. Seulement, ces mêmes mauvaises langues auront tôt fait de dénoncer la surenchère d'effets qui au final fatiguent l'oeil et peut parfois paraître comme un caprice de gamin. Ce vil argument n'est pas toujours faux, surtout dans les nombreuses parties dans le cyber-espace (qui a une part très importante dans l'intrigue soit dit en passant), où les 'combats' de hackers sont parfois plus lourds qu'autre chose. Mais l'exploit graphique de ce manga, c'est de mélanger séquences en couleurs et images de synthèses avec d'autres en couleurs et sur papier. Toujours, les détracteurs diront que Shirow se moque de nous et n'est pas fichu de nous servir un dessin cohérent et bien fichu. Pour ma part, je dirais que les transitions entre synthèses et dessins sont superbement amenées (un peu de bleu par-ci par-là, puis la couleur qui revient progressivement... Que c'est beau !) et qu'à défaut de cohérence, Shirow arrive à nous imprégner d'une ambiance très prenante, celle de son univers.

L'univers, parlons-en. Ce n'est plus celui, morne et froid, du premier Ghost in the Shell. Ici le soleil brille, les grandes étendues d'eau et d'herbe sont légion, et l'on pénètre donc pour la première dans le monde virtuel que Shirow peinait tant à nous suggérer jadis. Ici, il franchit le pas sans trop se poser de questions de logique. Cependant, cet univers, qui doit être si net dans la tête de son auteur, à parfois du mal à apparaître clairement sur papier. On ne vous parle même pas de la fin, où une bonne dizaine de relecture sauront difficilement avoir raison des textes, dialogues et dessins. Mais nous y reviendrons. Il faut savoir que dans le premier Ghost in the Shell, tout le premier volume a justement pour utilité de rendre le lecteur familier avec le monde futuriste et merveilleux de Shirow. Ici, l'auteur à certainement compris que l'heure n'est plus à la science-fiction, où il a très largement démontré être un des grands. Ainsi, nous sommes directement projetés dans le feu de l'action. Et, pour le coup, Shirow ne fait vraiment pas dans la simplicité. Beaucoup moins rigoureux que d'habitude, l'auteur garde le principe de ses notes explicatives en bas de page (toujours aussi intéressantes), mais se permet des folies flirtant parfois avec le délire le plus total. Pas facile pour le lecteur de suivre, et très vite on se dit que le manga manque sérieusement de crédibilité, l'auteur faisant littéralement ce qu'il veut de ses personnages et de son intrigue, dont il semble par ailleurs se foutre éperdument, tout cela en reprenant à son compte ce que les frères Wachowsky lui ont pris avec Matrix (Kusanagi devient une sorte d'agent Smith... Je vous laisse la surprise).

A vrai dire, et après mûre réflexion sur la manière dont doit être abordée cette oeuvre, Man Machine Interface ne doit pas être lue comme une oeuvre de science-fiction. Il ne s'agit pas non plus de l'aboutissement ultime auquel l'auteur aspire depuis ses débuts (et la piste de l'objet commercial semble s'exclure d'elle-même assez vite aussi). Peut-être est-ce juste un délire, une manière pour Shirow de se jouer des attentes énormes placées dans une suite à sa série fétiche. Les fans seront de toute façon allés voir Innocence au ciné. Les amateurs seront inévitablement déstabilisés, ne serait-ce que devant la dimension hautement lubrique du manga, ou la plupart des personnages principaux sont des filles dévêtues (et vive le logiciel informatique qui agrandit les poitrines et donne une véritable texture de peau), de plus en plus au fur et à mesure que l'on approche de la fin.
Conclusion partiellement incompréhensible, comme souvent avec Masamune Shirow, mais aussi grandiose. C'est bel et bien l'apothéose du manga que cette conclusion, qui d'une part ressemble pas mal à celle de Ghost in the Shell, la notion d'être transcendant en commun. Mais d'un autre coté, la dimension religieuse est explicitement abordée, le gros fouillis qu'est le manga prenant d'un coup une dimension mystique et humaine incomparable. S'il fallait trouver un lien entre les deux mangas, Il y aura certainement à parler de cette conclusion où Motoko Kusanagi prend encore du grade sur l'échelle de l'évolution.

Ghost in the Shell : Man Machine Interface est un manga qui laissera sceptique un grand nombre de ses lecteurs. Pas étonnant, mais vu l'indulgence que l'on doit à un immense auteur tel que Masamune Shirow, autant prendre tout ce qu'il y a de bon dans cette fausse séquelle (et il y a du très bon) et oublier le reste (et il en a là aussi pas mal).