9/10L'Histoire des 3 Adolf

/ Critique - écrit par juro, le 15/03/2005
Notre verdict : 9/10 - Un prénom pour l'Enfer (Fiche technique)

une tétralogie mettant en scène trois personnages principaux avec des doubles personnalités pour une grande oeuvre qui n'aboutira pas sur le néant car, bien au contraire, elle donne à réfléchir

La bibliographie d'Osamu Tezuka est un vaste florilège de toutes les préoccupations de l'homme et de l'Homme, alors lorsque le père du manga aborde le sujet de la seconde guerre mondiale et plus particulièrement du fascisme nazi, on est en droit d'attendre une sévère critique. Pourtant, avec ou sans réflexion, sans scénario probant, force aurait été de constater que L'Histoire des 3 Adolf (Adolf ni Tsugu) n'aurait pas autant marqué les esprits. Tezuka ne serait pas Tezuka sans la création d'une bonne intrigue et que dire de ce scénario exceptionnel par sa richesse et ses rebondissements. Du japonais à l'allemand, personne ne sera épargné dans cette oeuvre somptueuse mais diablement sordide. A vrai dire, ce serait même l'équivalent oriental du Maus d'Art Spielgeman...

3 Adolf sinon rien

L'Histoire des 3 Adolf
L'Histoire des 3 Adolf
Sohei Togué est un journaliste japonais chargé de couvrir l'événement des Jeux Olympiques de Berlin en 1936. Bonne nouvelle : il va revoir son frère parti étudier en Allemagne. Mauvaise nouvelle : il le retrouve mort défenestré. Son instinct professionnel le pousse à investiguer et soupçonner que son frère a été assassiné car celui-ci détenait des documents explosifs sur les origines du Führer en sa possession. Bien sûr, personne n'a rien vu ni entendu à propos du crime et c'est maintenant au tour de Sohei d'être traqué et arrêté par la Gestapo, persuadé qu'il possède les documents compromettants. Battu à mort mais relâché, le journaliste promet de découvrir le secret qui se cache derrière la personne d'Adolf H.

Pendant ce temps au Japon, une histoire d'amitié naît. Adolf Kamil, le juif, et Adolf Kauffman, le germano-nippon, se promettent de se soutenir à tout jamais. Le temps de la jeunesse et du bonheur paraît éternel pour les jeunes garçons mais la naissance du conflit européen appelle l'élite des enfants allemands à intégrer les Jeunesse Hitlériennes. La séparation des deux amis se fait dans les larmes et les regrets. Le jour même, dans l'arrière boutique de la boulangerie de ses parents, le jeune Kamil apprend que des documents provenant d'Allemagne lève le voile sur un terrible secret qui pourrait renverser le régime nazi et mettre brutalement fin aux hostilités.

Et si Hitler avait été ****

Le temps d'une guerre, les destins de tous les personnages de L'Histoire des 3 Adolf vont changer et ne seront plus jamais les mêmes qu'auparavant. Le cas des trois personnages portant le même prénom est le plus significatif. L'évolution du personnage d'Adolf Kauffman est le symbole même de l'absurdité de l'idéologie nazi : le jeune homme frêle et faible lors de ses années japonaises devient un véritable serviteur du III° Reich, apportant avec lui son lot de contradictions sur la condition humaine. Ennemi du peuple juif alors que son meilleur ami en est un, défenseur acharné de la « race aryenne » alors qu'il n'est qu'à moitié allemand, Kamil s'embrouille dans ses explications, devient petit à petit fou et s'enfonce dans les plus profonds méandres du Mal. Son personnage inspire du dégoût même lorsqu'il essaye de se rattraper par des actions qui n'ont rien de désintéressées.

Adolf Kamil évolue moins mais prend plutôt conscience du sort qui pourrait attendre la communauté juive nippone si la folie s'étendait. Son rôle évolue en fonction de celui de Kauffman, leur amitié soumise à rude épreuve aboutira sur un dénouement inédit en rapport avec une autre Histoire. Enfin, l'autre Adolf apparaît peu souvent mais celles-ci sont marquantes à cause de ses nombreux délires psychotiques et une névrose paranoïaque permanente.

Sans jamais être lourd sur le sujet, Tezuka propose une idée originale qui nous plonge dans les travers des régimes japonais et allemands. A la manière de MW, il aborde beaucoup de thèmes mais dans ce cas précis, il traite le sujet avec délicatesse et intelligence. Sans tomber dans la parodie, le mangaka nous embarque dans un seinen mélangeant thriller politique international, histoire d'amitié mise à mal et histoire dans l'Histoire. Si les ellipses sont un peu longuettes et font perdre un peu de rythme au récit, la montée en puissance progressive de L'Histoire des 3 Adolf se constate aisément. La détermination de Sohei, la rivalité des deux amis, les nombreux rôles joués par des personnages secondaires, la proximité de la guerre et de ses monstruosités qui n'apparaissent jamais directement... tout ceci contribue à créer une atmosphère extrêmement prenante et irrévocablement teintée d'un fatalisme. Un fatalisme combattu de toute force par des personnages humanisés, peut-être même un peu à outrance. La mise en forme de l'intrigue fait parfois penser à Monster d'Urasawa dont on sait qu'il revendique une grande admiration pour Tezuka.

Tezuka ne réécrit pas l'Histoire, il l'adapte à sa convenance et même si quelques petites erreurs, ou plutôt détails, ponctuent son oeuvre, celle-ci reste remarquablement traitée. D'autant plus que le trait de Tezuka est encore plus performant que celui d'autres oeuvres comme MW ou Ayako et beaucoup plus mature que dans les shônens comme Astro Boy ou Nanairo Inko. Cependant, ceux qui n'ont pas accroché au style du maître passeront leur chemin car on reste dans le plus pur dépouillement où les décors sont rarement mis en valeur, à la différence des personnages.

Pour finir rapidement, on pourrait réduire L'Histoire des 3 Adolf en quelques mots : une tétralogie mettant en scène trois personnages principaux avec des doubles personnalités pour une grande oeuvre qui n'aboutira pas sur le néant car, bien au contraire, elle donne à réfléchir. S'il ne devait rester qu'un Tezuka, ce serait celui-ci par la force de son sujet et son exceptionnelle intrigue, presque qualifiable de manga « patrimoine pour l'humanité ».