Interview de Shin’ichi Sakamoto - Seul face à sa planche, il fait couler l’encre

/ Interview - écrit par OuRs256, le 09/05/2015

Le mois de mai est arrivé et le deuxième tome d'Innocent vient de pointer le bout de son nez dans toutes les bonnes librairies. Son auteur, Shin'ichi Sakamoto était présent au salon du livre et on en a profité pour le rencontrer. Une version texte est disponible sur Krinein et vous pourrez retrouver une version vidéo sur Journal du Japon. Quoi qu'il en soit, que vous connaissiez son oeuvre ou non, l'interview vous le prouvera, cet auteur est tout simplement fascinant !

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Le mangaka et ses débuts.

Bonjour Sakamoto-sensei, pour commencer et vous présenter un peu aux lecteurs, est-ce que vous pouvez nous dire quelle est votre oeuvre favorite ?

Shin’ichi Sakamoto : Bonjour à tous les lecteurs, je m’appelle Shin’ichi Sakamoto et mon manga préféré, c’est Hokuto no Ken (NdR : Ken le Survivant).

C’est étonnant mais ça ne transparaît pas du tout dans vos oeuvres actuelles mais plutôt dans les premières.

Shin’ichi Sakamoto : C’est sûrement la preuve que j’ai trouvé mon style entre temps !

 

Pour faire découvrir votre évolution aux lecteurs les plus récents, pouvez-vous nous dire quel regard vous portez sur vos premières oeuvres?

Shin’ichi Sakamoto : Mes oeuvres sont un peu comme mes enfants. Je les aime et je les aimerais toujours. Cependant, quand je les regarde maintenant, j’ai l’impression qu’à l’époque, je cherchais quelque chose. Peut-être que je cherchais ma voie mais en tout cas, je tâtonnais.

 

Ascension - Vers l’infini et au delà ?

On décelait déjà dans vos premières oeuvres une émotion palpable en permanence.  C’est quelque chose qui ressort encore plus dans Ascension Quelle est votre technique préférée pour transmettre les sensations de vos personnages avec une telle force ?

Shin’ichi Sakamoto : Ce qui a fait qu’aujourd’hui plus qu’autrefois il y ait cette transmission d’émotion, c’est que j’ai arrêté de me focaliser sur les autres manga. J’étais un gros lecteur et j’avais l’habitude de reprendre certaines choses. Prenons l’exemple des onomatopées. Quand il y en a à côté d’une vitre qui se casse, on entend le « crac » ou du moins on le lit. Moi, j’ai fait le choix de faire deviner ce « crac » au lecteur par le biais du dessin, la façon dont est dessiné la case, le contexte de la scène, etc. Je pense que rien qu’avec le dessin et sans onomatopées, on peut transmettre des émotions et des sensations.

 

Dans Ascension, on remarque que les moments les plus marquants de la vie de Buntarou ne contiennent que très peu de texte. Dans quelle mesure pensez-vous que les images peuvent être plus fortes que les mots ?

Shin’ichi Sakamoto : Encore une fois, pour procurer ces émotions, j’ai l’impression qu’il faut un tout. Ce n’est pas seulement le dessin mais aussi la taille et la forme des cases mais aussi la situation amenée par cet agencement. C’est un tout qui permet de faire ressentir des choses au lecteur. Quand je réfléchis à une scène, à l’étape du storyboard, je me demande comment je vais faire pour que celui qui lit comprenne ce que mon personnage ressent à ce moment précis.

C’est vrai que l’on voit un véritable sens du détail. Plus Buntarou prend de l’altitude et plus la narration est ralentie, un peu comme si le lecteur avançait au rythme des pulsations cardiaques du personnage.

 

On constate aussi de nombreuses ellipses temporelles qui permettent de juger de l’évolution de Buntarou. Etait-ce votre choix ou ces ellipses se trouvaient-elles déjà dans le roman ?

Shin’ichi Sakamoto : C’est bien moi qui ai introduit ces ellipses temporelles tout simplement parce que c’est une liberté que l’on a quand on dessine un manga. On peut très bien prendre le rythme classique avec « Scène 1, scène 2, scène 3… » mais on peut aussi passer de la scène 2 à la scène 5 directement et amener les scènes 3 et 4 manquantes autre part sous forme de flashback. Ce n’est pas une liberté narrative que l’on a partout mais moi j’en ai bien profité.

 

Ascension et Innocent, deux oeuvres aux nombreux points communs.

En parlant d’adaptation, Ascension et même Innocent sont des séries tirées d’un autre ouvrage (un roman et un livre documentaire historique). Qu’est-ce qui vous plaît dans le concept d’adaptation ?

Shin’ichi Sakamoto : Je ne cherche pas particulièrement à réaliser des adaptations. Là, en l’occurence, c’est par hasard que j’ai trouvé le personnage de Charles-Henri Sanson. J’aime avoir un certain réalisme dans mes manga et reproduire la vie de quelqu’un qui a existé permet, pour le lecteur, de s’identifier plus facilement au personnage. Je ne fais donc pas particulièrement attention à la question d’adaptation mais pour ma recherche du réalisme, c’est très intéressant de travailler sur la vie de quelqu’un qui a déjà existé.

 

En relisant Ascension récemment, je me suis dit que c’était l’histoire de la solitude (thème que l’on retrouve dans Innocent) d’un homme sur fond de montagne, est-ce comme cela que vous voyez oeuvre ?  

Shin’ichi Sakamoto : Le côté solitaire de mes personnages n’est pas quelque chose de volontaire. Le mangaka est seul face à sa planche et inconsciemment, je pense que cette idée à déteint dans l’écriture de mes manga. Elle s’est glissée dans mes oeuvres sans que je ne m’en rende compte.

 

Dans Ascension comme dans Innocent, on suit un personnage de l’adolescence jusqu’à l’âge adulte. Qu’est-ce qui définit et caractérise ce passage selon vous ce passage selon vous ?

Shin’ichi Sakamoto : Pour moi, il y a deux éléments qui définissent le passage à l’âge adulte. Il y a d’abord le fait de commencer à travailler car ce n’est pas forcément faire quelque chose qui nous plaît. On doit le faire et on se met à penser à la notion de responsabilité. Il n’est plus possible de ne prendre en compte que son propre plaisir. La deuxième chose, c’est devenir un parent qui met encore plus en avant la notion de responsabilité.

C’est vrai que c’est quelque chose qui remet Buntarou dans le droit chemin.

 

Innocent - Quand le bien découpe le mal...

Le dépassement de soi et la quête initiatique sont le genre de thématiques qui vous tiennent à cœur. Cela semble plus compliqué de les placer ici, est-ce que vous chercheriez à passer à autre chose ?

Shin’ichi Sakamoto : Effectivement, la notion de dépassement de soi va être difficile à introduire dans Innocent. Par contre, le personnage pourra toujours changer. Il va devenir parent (NdlR : SPOIL, désolé…), voir son travail différemment. En fait, dans plein d’aspects, vous allez pouvoir le voir changer en tant que personne et en tant qu’homme. Il n’y aura donc pas forcément de dépassement de soi mais plutôt du changement. En France, vous n’avez que le premier tome mais vous verrez avec les suivants qu’il ne restera pas comme il est.

 

La révolution Française est riche en personnages historiques, quels sont ceux qui vous intéressent le plus et à qui vous avez envie de laisser de la place dans votre histoire ?

Shin’ichi Sakamoto : Il y aura bien évidemment Marie-Antoinette mais aussi Louis XVI qui a un rôle très important dans l’Histoire. Il y a aussi un personnage qui m’intéresse beaucoup qui s’appelle Robespierre…

C’est que ça donne envie !

 

Charles-Henri Sanson est un personnage contradictoire, un bourreau qui semble ne pas aimer son métier même s’il est un amateur d’autopsie, entre autres. Quelle perception avez-vous de ce personnage ?

Shin’ichi Sakamoto : En fait, je ne crois pas qu’il prenne vraiment son pied à dépecer des gens. On voit très rapidement qu’il donne une utilité à cette activité. C’est vrai qu’il tuait beaucoup de gens mais on le sait puisque ça a été prouvé, il était aussi médecin. Par conséquent, il rendait la vie à des gens. Ces dissections de cadavres lui servaient plus pour étudier et rendre service aux gens. C’est donc véritablement cet aspect « Je tue mais j’ai aussi de leur rendre la vie » que j’ai trouvé très intéressant dans le personnage.

 

Pour finir, est-ce qu’il était important pour vous d’insister sur l’homosexualité du personnage principal ou du moins de son ambiguïté et de son sens de la justice perverti par une représentation matriarcale forte dans sa famille (la grand-mère méga dominatrice) ?

Shin’ichi Sakamoto : C’est l’une des choses que je veux transmettre à travers ce manga. Je veux casser les préjugés. Je veux que les lecteurs comprennent qu’il peut y avoir plusieurs façons de s’aimer et les différences qui peuvent exister. Je trouve que ça a un côté un peu rock de voir que ces deux jeunes s’embrassent dans le premier tome, contre leur temps, acte qui dit « A bas les préjugés, regardez ce qu’on fait ». Je trouvais que c’était intéressant de casser par le biais de mon manga cette vision négative qu’on certaines personnes de différentes formes d’amour.

Merci beaucoup et bonne fin de séjour en France !

Pour ceux qui seraient intéressés par la version vidéo, ça se regarde ici : http://youtu.be/2ZbXvXEEM8A

 

Traduction : Fabien NABHAN

Remerciements : Sabrina GAUDOU et le staff des éditions Delcourt (Site Internet et Compte Twitter) pour l’organisation de l’interview.

Interview réalisée par Salomon IFRAH (Compte Twitter) pour Krinein.com (Site Internet et Compte Twitter) et Journaldujapon.com (Site Internet et Compte Twitter)