7/10Jeanne

/ Critique - écrit par juro, le 01/07/2004
Notre verdict : 7/10 - Jeanne sans Serge (Fiche technique)

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Après Néron mais avant Jésus... non, ce n'est pas une frise chronologique biaisée que je vous propose mais bel et bien l'ordre dans lequel Yoshikazu Yasuhiko a décidé de mettre en oeuvre sa galerie de personnages historiques sur des hommes ou femmes occidentaux ayant eu un destin exceptionnel. Fous ou animés d'une vision lucide de l'avenir, ces personnages ont contribué à marquer l'Histoire grâce à leur détermination et le petit plus qui fait la différence. C'est justement ce bonus indescriptible que le mangaka s'attache à essayer de traduire au sein de chacune de ses nouvelles oeuvres, alors quoi de plus normal qur de s'attaquer au personnage de la plus célèbre pucelle au monde (si on exclut Britney Spears), Jeanne d'Arc. Destinée ou hasard ? Je ne vous refais pas un cours d'histoire mais la vie de la femme soldat a été une aventure formidable, marquée de moments forts et d'un final glauque. J'avais lu Jésus auparavant et je m'attendais à retrouver une approche sensiblement équivalente dans Jeanne mais dès les premiers instants, Yasuhiko nous embarque dans une histoire parallèle dans laquelle la vie de la pucelle d'Orléans n'est évoquée que par bribes... et pour cela pas moins de quatre volumes montrant une période cruciale de l'histoire de France.

Héros malgré elle

Jeanne
Jeanne
1440, onze ans après la mort de Jeanne d'Arc, la situation politique du royaume de France est au plus mal : les Anglais sont toujours présents sur le continent, la révolte gronde contre le roi Charles VII, surtout que le dauphin Louis a les dents longues. Les principaux seigneurs hésitent à prêter main forte au pouvoir central, le mythe de la Pucelle qui reviendra venger sa mort par la parole divine s'effrite, le pays a besoin d'un nouveau sauveur... ou plutôt d'une nouvelle femme de guerre !

Et c'est ainsi que le scénario se met en place, une jeune fille se remémore sa première et seule entrevue avec celle qui allait devenir la Pucelle d'Orléans. Ce souvenir, bien que bref, restera marquant à vie et contribuera à faire de cette jeune fille... un jeune seigneur, au nom et à l'apparence masculine : Emile de Baudricourt (qui se trouve en fait être Emilie), descendant(e) adopté(e) du duc de Vaucouleurs. Agée de dix-sept ans, Emile apprend que son père est appelé pour aider Charles mais sa force de dévouement parvient à convaincre le seigneur de l'envoyer à sa place pour... Orléans, première étape de l'ancien périple de Jeanne.

Le chemin est rempli d'embûches et la jeune femme se rend petit à petit compte qu'elle suit le même chemin que son illustre aînée jusqu'à l'instant où elle entre en contact avec Elle. La pucelle décédée lui demande de rester fidèle au roi jusqu'au bout. Des voix, toujours des voix... La parole de Dieu et la défense de la patrie sont les deux principaux thèmes mis en valeur à travers les messages de Jeanne à Emile. Par l'aveuglement devant ces événements surnaturels dont elle est le seul témoin ou par la prise en compte de la réalité qui se déroule devant ses yeux, le destin d'Emile se précise. Le parallèle Jeanne/Emile s'établit chaque fois plus clairement. Ce parrallèle est le début de nombreuses questions : Emile est-il un nouveau sauveur pour la France ? Qui sont les hommes qui veulent faire chuter Charles ? Et surtout, par quel miracle Emile peut-il voir et entendre Jeanne ?

Histoire, histoires et « petites histoires »

D'un point de vue historique, Jeanne colle à l'époque médiévale à laquelle elle tente de faire face. L'Histoire est bien représentée, le périple d'Emile est sensiblement équivalent à celui de la Pucelle et on suit les aventures du héros en guettant les apparitions de son homologue salvatrice de la nation dix ans plus tôt. Comme dans Jésus, le travail de recherche a été monstrueux.

L'histoire en elle-même est quand même un cran en dessous car Emile occupe tout de même essentiellement le scénario et même si elle représente la réplique de la Pucelle, elle a beaucoup moins de charisme, en agissant comme un pion sur un échiquier. Ses faiblesses sont plus souvent mises en avant que ses qualités, ce qui ne la rend pas particulièrement attachante mais montrent deux thèmes sous-entendus : la difficulté d'être une femme à l'époque et l'unicité du personnage de la Pucelle.

Enfin viennent les petites histoires avec les personnages secondaires. Autant ceux-ci avaient une importance dans Jésus, autant ici ils sont juste présents pour donner une crédibilité à l'histoire. Ainsi, La Hire et le duc d'Anjou apparaissent éphémèrement et n'auront pas de réelles répercussions sur le scénario, qui se finit d'ailleurs de manière plutôt décevante.

Au niveau du dessin, Yasuhiko réalise la copie conforme de Jésus, c'est-à-dire une oeuvre en couleurs à l'aquarelle bien léchées qui mettent en valeur les personnages et l'histoire qui va avec. Chacun des personnages possède un caractère dominant, ainsi Emile représente l'inquiétude, Jeanne le calme et la volupté, le dauphin l'arrogance, Charles la faiblesse... et le peuple est une fois de plus dessiné comme un amas de personnages uniforme, preuve que Yasuhiko s'est intéressé à montrer les personnages réels qui ont fait l'Histoire, comme il la pense. De plus, le personnage éponyme de l'oeuvre bénéficie là aussi d'une aura particulière par sa douceur.

Finalement, Jeanne représente un bon manga mais qui n'a pas la même prestance que Jésus. L'histoire est le point faible en omettant trop souvent le personnage éponyme de l'oeuvre même si le trait est toujours très stylé. Bref, en attendant de revisiter Alexandre le Grand, le mangaka montre une fois de plus un travail énorme qui aura le mérite de décrire un personnage hors du commun de manière subtile, aussi bien aux occidentaux qu'aux orientaux.