Inspecteur Kurokôchi - « Bad boys, bad boys whatcha gonna do? Whatcha gonna do when they come for you ? »

/ Critique - écrit par OuRs256, le 11/06/2015

Les deux auteurs du nouveau titre des éditions komikku sont déjà connus en France. Que ce soit le scénariste Takashi Nagasaki et ses différents travaux avec Naoki Urasawa ou Kôji Kôno avec Gewalt, le lecteur averti arrive donc en terrain connu. Le cadre : le monde contemporain. Le personnage principal : le flic le plus pourri de l’histoire !

Keita Kurokôchi est membre de la deuxième brigade d’investigation. C’est un inspecteur corrompu dont la connaissance des pires secrets des politiciens et hommes d’affaires de la préfecture lui confère un pouvoir énorme. Ce flic fait horreur au novice Shingo Seike, officier envoyé par l’agence de la police nationale. L’ennemi ? Une société secrète a été créée au sein de la police avec l’argent du casse des 300 millions de yens, le plus grand mystère du Japon d’après-guerre ! Quelle est cette mystérieuse assemblée du cerisier, prête à tout pour étouffer les scandales liés à la police, y compris à assassiner ceux qui s’y intéresseraient de trop près ? Kurokôchi et Seike ont mis le pied dans un engrenage qui les dépasse. C’est un combat dangereux qui s’engage entre l’organisation secrète et le flic le plus corrompu du pays !

Inspecteur Kurokôchi - « Bad boys, bad boys whatcha gonna do? Whatcha gonna do when they come for you ? »

Ce qui saute aux yeux avec Inspecteur Kurokôchi, c’est le soin apporté au scénario. Vous me direz que c’est normal vu le scénariste mais il n’est pas rare de voir quelques faux pas, même chez les scénaristes qui ont déjà fait leurs preuves (cf. Indiana Jones 4). On voit que Nagasaki a bien retenu les leçons de son travail avec Urasawa car il parvient à créer un monde riche et surtout à le développer de manière crédible et il se passe pas mal de choses dans les décors. Les relations inter-personnages sont complexes et super bien gérées. Elles passent toutes par le héros, Kurokôchi, qui devient très rapidement le pilier du titre. Avec ses nombreuses connaissances et ses « vieux dossiers », il a de quoi influencer mêmes les hommes politiques les plus puissants. Cette volonté de centraliser les liens entre les différents acteurs du récit est un choix narratif très fort de par son impact évident sur l’importance des personnages secondaires qui servent peu si ce n’est de faire-valoir au protagoniste.

Kurokôchi n’est pas un héros plein de bonne volonté qui cherche à sauver le monde, loin de là. Nagasaki en a fait un anti-héros machiavélique plein d’opiniâtreté. Il complote, il menace, il fait chanter, il ment… Bref, pour les actions de bases du flic modèle, on repassera. Kurokôchi est un personnage particulièrement intelligent qui sait utiliser ce dont il a besoin quand il en a besoin. Il illustre ainsi parfaitement le dicton de Nicolas Machiavel: « Qui veut la fin, veut les moyens ». En même temps, il n’est pas inspecteur pour rien. Ses méthodes marchent puisqu’il est parvenu à se hisser dans la hiérarchie de la police et que ses supérieurs voient en lui quelqu’un d’efficace même si pas particulièrement fiable (c’est le moins que l’on puisse dire). Kôji Kôno fait aussi un travail remarquable sur les expressions faciales de son personnages qui sont juste génialissimes. Ses sourires en coin, ses petits rictus mais aussi ses têtes de blasé, rien n’est laissé au hasard et toute cette charte graphique participe activement à la complexité du personnage.

En même temps, quand on y réfléchit, ce n’est pas facile de vivre dans le monde de pourris de la police japonaise que nous dépeignent Nagasaki et Kôno. Les supérieures « bavent » sur Kurokôchi mais ils ne sont pas beaucoup mieux placés. Ils acceptent des pots de vins et ferment assez facilement les yeux sur les « bavures » de l’inspecteur… Seul le jeune Seike semble avoir un problème avec les agissements bizarres de celui qui va devenir son supérieur et un peu son mentor. Au fond, même si Kurokôchi utilise des méthodes de ripou, il le fait quand même très souvent pour la bonne cause. Dans l’univers d’Inspecteur Kurokôchi, les complots sont monnaie courante et ils restent difficiles à démanteler en restant dans la loi. On pourrait presque dire que le protagoniste a besoin d’utiliser des méthodes peu conventionnelles pour appliquer la justice. Ce sont les délits exceptionnels qui le poussent à le faire. « Aux grands mots, les grands remèdes », non ? Au final, Kurokôchi est-il le pur produit d’un monde corrompu ou simple roublard qui profite de la situation ? C’est à vous de juger… 

Inspecteur Kurokôchi est un titre étonnant. Ce n’est pas en voyant les couvertures très fades et austères que l’on peut s’attendre à une telle qualité. Le dessin de Kôno est d’une efficacité redoutable, exactement comme dans Gewalt, et ne se perd pas en fioritures, ce qui permet une fluidité narrative exemplaire. Les auteurs ont mis en place un monde violent, réaliste et surtout crédible. La « théorie du complot » est de plus en plus à la mode pour expliquer de nombreux phénomènes flous et Nagasaki et Kôno surfent juste sur la vague. Grâce à un personnage principal délicieusement diabolique (non, vraiment, vous devriez acheter le titre juste pour les expressions faciales de Kurokôchi), ils peuvent nous proposer un polar solide avec une pointe d’humour juste quand il faut.