Les Misérables 1 & 2 (Kurokawa) - Qui aurait cru que Jean Valjean pouvait être aussi classe ?!

/ Critique - écrit par OuRs256, le 07/08/2015

Jean Valjean soutient depuis toujours sa soeur et ses 7 enfants. Il essaie de gagner de l’argent et de les nourrir comme il peut en élaguant des arbres. Mais l’hiver arrivé, il n’a plus de travail. Après avoir vendu le pistolet de son défunt père, il ne peut même plus braconner et se trouve obligé de voler du pain pour les empêcher de mourir de faim. Malheureusement, il se fait arrêter. Sorti de prison après 19 ans d’incarcération, c’est un homme changé, un rebut de la société qui n’a plus foi en rien. Après s’être fait rejeter de toutes les auberges et tous les villages sur son passage, il trouve refuge chez l’évêque Bienvenu, un homme d’église au cœur bon, qui ne vit que pour aider son prochain… Commence alors pour Jean Valjean, l’ancien forçat, une nouvelle vie.

Alors que les Américains n’ont rien trouvé de mieux que d’en faire un film adapté d’une comédie musicale, les Japonais ont préféré traiter Les Misérables de Victor Hugo avec un peu plus d’égard. Le résultat ? Une adaptation manga de qualité par l’excellent Takahiro Arai, auteur de Darren Shan et Arago (deux très bons titres disponibles chez Pika) que les éditions Kurokawa ont eu la bonne idée de ramener chez nous.

L’histoire, hmm.. tout le monde la connaît non ? Bon tout le monde connaît au moins les personnages : Jean Valjean, Fantine, Javert, Cosette, les Thénardier… Toujours rien ? Bon, ok, je vous raconte un peu. En fait, Les Misérables est un roman qui suit plusieurs destins croisés.

Il était une fois… Jean Valjean, un frère qui vivait dans la misère avec sa soeur et ses enfants. Un jour, alors que l’argent ne rentre plus et que la faim se fait sentir, il vole un pain pour nourrir les deux petits. Malheureusement pour lui, il se fait attraper et est envoyé au bagne. A cette époque, les temps sont durs pour les anciens bagnats dont la réinsertion est rendue très difficile par un passeport différent du reste des français. Alors que sa famille est morte pendant qu’il trimait au bagne, Valjean a tout perdu et pense sérieusement à devenir une bête féroce, un criminel pour survivre. Il sera cependant sauvé par un homme d’église, Monseigneur « Bienvenu », un évêque bienveillant qui lui permettra de changer sa vision du monde. 

Du premier au deuxième tome, le changement dans la vie de Jean Valjean est flagrant, un peu fou même. On le découvre père de famille aimant, incapable d’accepter son impuissance face à la faim de sa famille. C’est cette faiblesse qui va le faire commettre le vol qui l’enverra au bagne (pour 19 ans car le bougre ne tient pas en place et tente continuellement de s’évader) et lui fera tout perdre. Une fois sorti, on retrouve un animal à la limite du monstre.

L’homme a disparu et c’est un lion qui apparaît aux yeux des gens. Pour le signifier, Arai utilise une imagerie forte (tout comme Hugo fans l’oeuvre original d’ailleurs) avec des animaux sauvages en arrière-plan. Tout ceci fait bien comprendre au lecteur que le Valjean sorti du bagne fait peur à tout le monde… sauf à Monseigneur Bienvenu qui va lui montrer que certains hommes sont toujours bons et lui faire retrouver un peu de lumière. 

L’évêque, par son action de bonté, va faire de Valjean un homme nouveau. Ce dernier va même se jeter dans le feu afin de sauver un enfant, perdant ainsi son passeport (source de son malheur) brûlé. On parle quand même d’un homme qui, quelques temps auparavant, avait perdu tout espoir en l’humanité et ne voulait qu’une chose : voir tout partir en flammes. Une rencontre fortuite, un petit coup de chance et voilà Valjean devenu un homme nouveau une fois de plus.

Débarrassé de son nom et de son passé fardeau, il se met à faire le bien autour de lui et devient un chef d’entreprise honnête et aimé de tous. Le changement chez Valjean est purement psychologique. Mise à part sa coupe de cheveux et sa barbe qui varie plus ou moins selon sa pauvreté, il ne devient pas plus maigre, ne change pas de carrure… Tout se passe dans sa tête, chose qu’Arai illustre parfaitement, très souvent en arrière plan avec des pensées matérialisées à travers une imagerie forte. 

Les Misérables 1 & 2 (Kurokawa) - Qui aurait cru que Jean Valjean pouvait être aussi classe ?!

Le second destin, c’est celui de Fantine, une jeune femme qui vit aux crochets de celui qu'elle aime. Pour elle, qui possède la beauté et qui n’a jamais eu à travailler de toute sa vie, le monde vole en éclat. Du jour au lendemain, elle se retrouve à la rue, sans le sou et avec une petite fille à élever. Alors qu’elle rentre chez elle, elle tombe sur l’auberge tenue par le couple Thénardier. Voyant les enfants heureux, elle va décider de laisser sa petite Cosette avec eux, moyennant rente évidemment….

Au contraire de Jean Valjean, le changement de Fantine n’est pas psychologique mais plutôt physique. On la découvre fraîche, belle, pimpante et doucement, étape par étape, sa vie et son corps vont se dégrader. Sans ses dents et ses beaux cheveux blonds, Fantine ne se voit plus comme une femme, elle ne se voit même plus comme un être humain. Elle est prête à tout pour gagner de l’argent et se livre dans son plus simple appareil au plus offrant. La jeune fille de la haute n’est plus et reviendra plus. 

Au niveau de l’édition, Kurokawa fait toujours très fort et on notera surtout le sens du détail du designer qui a poussé le vice jusqu’à mettre un petit drapeau français en haut de la tranche. Le format choisi est celui des seinen avec un peu plus de largueur que les titres habituels histoire de pouvoir faire en sorte que le lecteur profite au maximum des superbes double-pages d’Arai (et aussi de celles en couleur).

On notera aussi l’effort sur l’adaptation qui garde des mots vieillots et des tournures de phrases que l’on utilise plus de nos jours (la seule qui me revient, c’est le « Je ne peux vous obéir » de Jean Valjean à Javert à la fin du tome 2). L’éditeur a compris que sur un titre comme celui-ci, le vocabulaire d’époque était le plus approprié et n’a pas cherché à le « rajeunir » comme il le fait sur certains de ses autres titres. 

Au final, ces deux premiers tomes donnent parfaitement le ton de la série qu’Arai a en tête : une oeuvre proche de l’originale niveau contenu, avec des personnages denses et forts qu’il sera difficile d’oublier, et qui privilégie une narration lente, descriptive (imagerie très diversifiée) afin que le lecteur puisse découvrir l’oeuvre d’Hugo. Depuis Arago, son style graphique n’a pas changé, il a juste évolué de très belle manière, en particulier dans la représentation des humains qui sont beaucoup plus réalistes qu’auparavant. Les Misérables est une excellente introduction au roman de Victor Hugo, parfaite pour tenter d’intéresser les plus jeunes à ce monument de la littérature française.