8/10Moto Hagio - Anthologie

/ Critique - écrit par OuRs256, le 06/01/2014
Notre verdict : 8/10 - Nous étions lecteurs (Fiche technique)

Tags : hagio manga moto shojo comic tome magazine

Après Le Coeur de Thomas chez Kazé il y a quelques temps, Glénat permet au lectorat français de découvrir les œuvres de l'une des mangaka précurseurs du jôsei, Moto Hagio, et son univers fantasque, entre space-opéra et comédie romantique.

Lorsque je commandai le coffret sur internet, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Cependant, Amazon UK m'offrait 3,5£ de réduction donc je me suis dit "Bah, je voulais l'acheter de toutes façons donc autant en profiter !". Lors de la réception, première surprise : il a le format d'un manga "classique" de chez Glénat alors que je m'attendais à un grand format (oui, je sais, j'avais qu'à lire les spécifications, bref, passons !). Deuxième constat : il y a un volume beaucoup plus épais que l'autre. Courageux que je suis, je commence évidemment par le plus mince...

Quelques précisions sur l'auteure.

Moto Hagio, ce n'est pas n'importe qui. Celle qui est considérée comme la mère du shôjo moderne a été publiée pour la première fois lorsqu'elle avait 20 ans (une nouvelle du nom de Lulu et Mimi). Alors qu'elle a développé un véritable univers au fil de ses publications, elle s'intéresse assez rapidement au shônen-ai (aussi connu sous le nom de boys' love) et au thème de l'amour entre hommes mais aussi à tout ce qui touche à la science-fiction. C'est pour cette raison que les références à Asimov, Clarke et Bradbury sont légions dans ses manga. Son oeuvre emblématique Nous Sommes onze a fait l'objet d'une adaptation en anime et elle a reçu de nombreux prix pour ses oeuvres dont l'équivalent de la Légion d'honneur au Japon pour l'ensemble de son œuvre. En France, Le Coeur de Thomas, sorti chez Kazé, était son seul titre disponible. Glénat a bien fait de corriger ça. 

De l'humain (à ne plus savoir qu'en faire).

Dans ce petit tome qui est en fait le deuxième volume officiel de l'anthologie, 5 nouvelles se partages les 240 pages qui composent l'ouvrage. La taille, la qualité et les enjeux varient beaucoup de l'une à l'autre. De la simple exploration d'une facette de la personnalité d'un personnage, on passe à une histoire de famille complexe et pas forcément très motivante (en tout cas, elle ne m'a pas enthousiasmé plus que ça). 

Glénat a, en tout cas, bien choisi la nouvelle d'ouverture puisque la Princesse Iguane est un récit vraiment intéressant où l'auteure explore la vision de soi. Alors que tous voient Rika comme une jeune fille humaine normale, sa mère et elle-même la voient comme un monstre lézaroïde, la faute à une malédiction ancestrale. Rika va alors perdre complètement confiance en elle et avoir beaucoup de mal à se considérer comme la belle jeune femme qui apparaît aux yeux de tous. Avec les critiques de sa mère, c'est son amour propre qui en prend un coup et qui doit être retravaillé tout au long de sa vie, lui laissant parfois un goût amer dans la bouche. 

La deuxième nouvelle à laquelle je faisais référence était Le Pensionnat de novembre. Erik Nieritz est transféré dans une nouvelle école où il va vite comprendre que les élèves ne peuvent pas se passer d'un certain... Thomas. Eh oui, vous l'aurez compris, c'est une sorte de prélude (ou de pré-version) de ce qui donnera Le Cœur de Thomas. Bon, je ne vais pas vous mentir mais le Thomas du Pensionnat de novembre est une véritable tête à claque à laquelle il est impossible de s'attacher. On voit que Moto Hagio essaye tant bien que mal de lui trouver des excuses avec une maladie, un passé lourd, des problèmes psychologiques (?!) mais de mon côté, j'ai trouvé que la mayonnaise ne prenait pas et que la lecture était plus pénible qu'autre chose... Les thèmes abordés sont pourtant intéressants, à savoir les relations familiales, la "survie" dans un nouvel environnement où tous semblent être contre vous mais aussi la rébellion contre une autorité qui agit à la limite de la tyrannie. La relation entre les deux personnages est plutôt bien mises en scène et même si la ressemblance assez frappante nous met la puce à l'oreille, le fin mot de l'histoire ne vient qu'assez tard et l'auteure garde le lecteur "éveillé" grâce à ce point précis. 

De la rêverie (ou la tête dans les étoiles).

Le premier volume de l'anthologie s'avère bien plus intéressant que le second (c'est d'ailleurs pour ça que je l'ai gardé pour la fin !) avec notamment la nouvelle Nous sommes onze et sa suite Est et Ouest, un lointain horizon qui occupent une bonne partie des 360 pages qui composent cet ouvrage. Même si les deux autres nouvelles présentes ne sont pas mauvaises, elles sont totalement éclipsées par Nous sommes onze que je considère personnellement comme l'une des histoires les plus abouties que j'ai pu lire.

En une phrase : l'introduction captive, le développement passionne et la fin épate. Dans ce récit, Moto Hagio réussit à mêler un nombre impressionnant de thématiques qui n'ont,  a priori, aucun lien comme le choix du sexe, la place des femmes dans une société d'hommes, la politique de l'enfant unique (dans une moindre mesure mais disons que c'est quand même insinué), le combat contre la maladie, la recherche d'un intrus (façon Agatha Christie), la cohabitation de différentes cultures mais aussi la coopération entre membres d'une même équipe. Pas mal, non ?

Dans Nous sommes onze, la base de l'histoire est simple : un examen, dix candidats, un vaisseau spatial avec le minimum nécessaire pour survivre pendant quelques jours dans un vaisseau à la dérive (le tout en conditions réelles). Cependant, l'auteur crée un climat de tension dès le départ lorsque l'un des personnages annonce qu'ils sont onze au lieu d'être dix. L'atmosphère est alors à la suspicion et même à l'emportement (comme le prouve Flore qui a le sang chaud et part au quart de tour). Cependant, les liens entre les différents passagers du vaisseau se renforce alors qu'une maladie mystérieuse se déclare et que leur trajectoire est modifiée. L'instinct de survie prend le dessus et de nouvelles priorités poussent nos héros à travailler ensemble pour ne pas échouer à leur examen et survivre. Cerise sur le gâteau, on a même le droit à une histoire d'amour en toile de fond... (ça reste du shôjo) ! 

La suite, Est et Ouest, un lointain horizon, est loin d'atteindre la densité de son aînée et traite plutôt de problèmes politiques en abordant la tentative de coup d'état d'un haut fonctionnaire qui tente de prendre les rênes d'un pays. Moins intéressante, la lecture reste assez plaisante et nous permet d'en savoir un peu plus sur le destin des héros qui nous avaient fait vibrer dans Nous sommes onze

Conclusion.

Ne serait-ce que pour Nous sommes onze, cette anthologie vaut son pesant de cacahuètes. Toutes les nouvelles (même les moins bonnes) possède quelque chose qui les distingue les unes des autres et chacun apporte, à sa façon, sa pierre à l'édifice. On le voit bien une fois qu'on a digéré le tout : Moto Hagio est bien l'une des fondatrices du shôjo moderne. Sa capacité à mettre en relation des thèmes et des univers que l'on ne pensait pas compatibles sur fond de romance en est la preuve. C'est grâce à son audace qu'elle a pu arriver à un tel résultat et même le lecteur le plus difficile devrait se laisser attirer dans les méandres de la créativité d'une mangaka que l'on sent exceptionnelle.