8.5/10Paprika

/ Critique - écrit par Jade, le 11/12/2006
Notre verdict : 8.5/10 - Spice up your life (Fiche technique)

Tags : paprika piment epices cuisine pimenton recettes epice

Cette année, la Mostra de Venise faisait état de pas moins de quatre nouveaux long-métrages japonais, dont deux dessins animés, un film, et un ‘truc'. Le truc, c'était Tachiguishi Retsuden de Mamoru Oshii (Ghost In The Shell, Avalon), qui a tout l'air d'être à proprement parler une oeuvre comme on n'en a jamais vue. Le film, c'était Mushi-Shi de Katsuhiro Otomo (Akira, SteamBoy), complètement en décalage avec nos attentes. On comptait aussi Gedo Senki de Goro Miyazaki (le fils du père), plutôt décevant à en croire certains. Puis, il y avait Paprika de Satoshi Kon. Nul doute que ce quatuor de choc a dû mettre l'ambiance chez les gondoliers et causer quelques infarctus auprès de quelques fans d'animation un peu trop chanceux.
Avec, à sa gauche, deux maîtres incontestés de l'animation japonaise, évoluant depuis longtemps sur la scène internationale et recherchant un autre défi que celui posé par l'animation conventionnelle ; à sa droite, un jeune débutant portant sur ses épaules un poids aussi lourd que Totoro en terme d'attentes, le brave Satochi Kon se taille la part du lion, avec pour preuve des acclamations unanimes non seulement à la Mostra, mais aussi auprès du public comme de la critique à travers les continents.

Paprika raconte l'histoire d'Atsuko, une psychothérapeute froide et géniale, souffrant d'un dédoublement de personnalité, dont l'alter ego ne se manifeste que dans les rêves. Paprika, c'est son nom, sert aussi d'instrument de thérapie en s'insinuant dans les songes de patients et en recherchant la cause de leurs troubles. Tout ça grâce à un appareil top secret appelé DC Mini, permettant de pénétrer les rêves de tout un chacun. Cet instrument révolutionnaire est gardé dans les laboratoires de la clinique d'Atsuko jusqu'au jour où trois d'entre eux sont dérobés. Se posent alors les questions habituelles : qui, pourquoi, etc... Avec son lot de réponses habituelles : le voleur est certainement quelqu'un du labo, et ses intentions sont manifestement belliqueuses, vu la manière dont il s'empare des patients et joue avec leurs rêves. Mais cette fois, c'est à Atsuko/Paprika de mener l'enquête, accompagnée(s) de divers collaborateurs.

Paprika se revendique ouvertement de la filiation des oeuvres cyber-punk de ces dernières décennies, Matrix et Ghost In The Shell en tête de file. Adapté d'une nouvelle de Tsutsui Yasutaka, écrivain de science-fiction japonais, le scénario restitue par son propos toute la dimension propre au cinéma des années 80 et 90 du film d'enquête mené dans un cadre où le progrès scientifique est étouffant et signifie la mort de l'homme. Ici, l'enjeu est de taille, car la portée d'une découverte scientifique de l'ampleur du DC Mini dépasse de loin un cadre purement social. Pouvoir entrer dans les rêves d'autrui, c'est pénétrer l'univers personnel d'un autre individu et dès lors pouvoir remettre totalement en question la perspective avec laquelle l'on perçoit ce qui nous entoure. En somme, cela revient à interférer directement avec lui et non par le biais de son environnement, et pouvoir partager des expériences de quelqu'un d'autre avec un degré d'osmose qui ferait que l'on vivrait exactement la même expérience que celui-ci. Là où un Mamoru Oshii nous sortirait une réflexion d'une heure quarante sur le sujet, (Ah ? Il l'a déjà fait ?) Satoshi Kon dévie assez vite de ce qui s'annonce comme une vertigineuse expérience intellectuelle pour nous emmener sur son domaine à lui.

Car si Paprika est, par son sujet, clairement un descendant de la lignée des plus récentes oeuvres cinématographiques de science-fiction, par son propos un fidèle rejeton de l'animation japonaise (Evangelion en tête avec cette idée sous-jacente d'un monde où les êtres humains ne feraient plus qu'un), le film reste avant tout l'oeuvre de son propre réalisateur. Des références plus ou moins appuyées à ses dessins animés antérieurs, dont les fameux papillons bleus, qui étaient, on s'en rappelle avec nostalgie, la vraie star de Perfect Blue. Mais aussi un refus appuyé de faire un film à thème, où une sorte de morale puissante émergerait à la fin. Avec une virtuosité plutôt agréable, Satoshi Kon joue avec l'image, ses personnages et les attentes du spectateur, en changeant continuellement de ligne directrice, jusqu'à ce que l'on comprenne enfin qu'il n'y aura pas d'autre but à ce Paprika qu'un simple délire visuel. En cela, Paprika est une sorte de Paranoïa Agent sur grand écran, faisant sauter un à un les éléments de certitude jusqu'à la perte de repère la plus totale, pour atteindre un stade où le scénario n'a de fil directeur qu'une cohérence, il faut bien le dire, qui relève plus du rêve que de la logique cartésienne. Une fin parce qu'il en faut bien une, mais qu'on ne se méprenne pas : ici, c'est le voyage qui compte.

Et quel voyage ! Si Paprika ne s'avère pas être l'explosion loufoque et incohérente que le laissait croire la bande annonce, c'est pour le mieux. Car au-delà d'un univers graphique et d'un scénario plutôt propice au laisser aller intellectuel, Satoshi Kon nous sert des personnages remarquablement bien structurés et intéressants. Leur évolution est bien pensée, à la fois simple et significative, recelant de plus de subtilités que l'on ne pourrait croire au premier abord. Le plus gros point fort du film est certainement la construction du film autour des personnages. La plupart de l'action se déroule dans les rêves, et en cela les personnages se devaient d'être un minimum intelligible pour que le moteur dramatique de l'action soit performant. C'est ici mission accomplie, et si ceux qui s'attendaient à du pur délire pourront être déçus dans un premier temps, ce n'est que peine perdue. Ainsi le film peut être vu comme une quête d'identité pour Atsuko et Paprika, et la réunion progressive de leurs deux mondes tout au long du film (le rêve et la réalité) comme la réunion de ces deux personnalités (admirez la métaphore du papillon vers la fin du film). Avec à la fin la concrétisation d'une histoire d'amour pour le moins inattendue...

C'est donc la totale pour Satoshi Kon, qui nous sert un long-métrage cohérent et incohérent, un délire contenu dans une histoire on ne peut plus logique. Rien à redire sur la qualité, sinon peut-être que le film manque de piquant, mais ce serait plus pour le jeu de mot qu'autre chose. Il n'empêche que le film semble manquer d'intensité dramatique, mais peut être n'est-ce qu'une fausse impression, car sur le papier, nous avons bel et bien affaire à un chef d'oeuvre. Soulignons pour mémoire la bande son qui fera elle aussi sourire les amateurs de Paranoia Agent et la mise en scène magnifique, mettant en relief les trouvailles graphiques les plus géniales (la poupée notamment, où encore cette superbe réplique à replacer dans son contexte : ‘toi, attend ton tour'). Paprika, c'est l'univers de Satoshi Kon qui prend une nouvelle dimension, un nouveau pas dans son style propre, et une nouvelle promesse de plus de bons dessins animés à venir pour nous.